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L'intelligence artificielle pour identifier et classer les poissons

Intelligence artificielle et identification : Partie 1

10 juillet 2020

Collectif d’auteurs: Isabelle Cayer, David Pelletier, Margaret Kraenzel, Katia Liénafa, Maud Comtois

Introduction

Dans le cadre du grand projet de la Mer numérique, un des défis à relever à l’aide de l’intelligence artificielle est de reconnaître, de classer (distinguer) et de caractériser des espèces marines. Une personne aguerrie peut aisément réaliser ce groupe de tâches sans trop de mal. Demander à une machine de le faire, c’est une autre paire de manches!

C’est ce que David Pelletier et Margaret Kraenzel s’affairent à réaliser dans le projet ReCAPP “Reconnaissance automatique et classification de poissons pélagiques de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent”. Les deux chercheurs biologistes s’intéressent à quatre espèces :

  • Hareng

  • Capelan

  • Lançon

  • Maquereau.

Un peu d'anatomie

Les espèces de poissons pélagiques peuvent être distinguées selon leurs caractéristiques morphologiques (formes externes):

  • les types et formes de nageoires

  • l’opercule

  • la mandibule

  • la forme et la couleur des écailles

  • etc.

Chaque espèce possède des caractéristiques différentes. Ces distinctions permettent aux biologistes de positionner chacune des espèces dans le grand arbre de la vie!

Représentation de la morphologie générale d'un poisson (Source de l'image)

Les quatre espèces qui nous intéressent présentent des caractères nous permettant de les reconnaître :

 

  • Le Maquereau présente des rayures sombres sur des écailles bleutées;

  • Le Lançon a une mandibule proéminente qui dépasse le prémaxillaire et sa nageoire dorsale se prolonge sur une grande partie du dos;

  • Le Hareng a des nageoires dorées et un patron d’écailles en losange;

  • Le Capelan présente des nageoires et des écailles argentées.

Illustration des 4 espèces étudiées dans le cadre du projet ReCAPP.

(Source du Capelan, source du Hareng, source du Lançon, source du Maquereau)

Ces caractéristiques, on peut les exploiter dans un outil appelé “clé dichotomique”, une clé d’identification des espèces. En voici un exemple pour des espèces pêchées en Wallonie (Belgique):

Illustration d'une clé d'identification permettant de distinguer des espèces de poissons selon leurs caractéristiques morphologiques.

(Source de l'image)

En théorie, la méthode d’identification semble assez simple. Imaginez maintenant que vous deviez le faire pour caractériser le stock d’une espèce ayant une valeur commerciale. Par exemple, le Hareng sert de “bouette” ou d’appât pour pêcher le Homard d’Amérique. Vous pourriez faire comme les pêcheurs et observer les oiseaux marins (ex.: Fou de Bassan, Guillemot) qui s’en nourrissent pour repérer les bancs de poissons… et vous pourriez aussi utiliser des méthodes qui permettent de “voir” autrement, comme la vision artificielle.

Et si le stock se faisait rare? Et s’il fallait le localiser pour mieux le comprendre et le protéger? Les pêcheurs et les oiseaux marins ont une bonne connaissance de la mer en l’observant de la surface. Et si on pouvait plonger sous l’eau pour avoir une meilleure idée de l’état des stocks?

Le fleuve présente son lot de défis pour qui veut l’étudier de l’intérieur: température, salinité, turbidité, courant, végétation, etc. C’est à ce moment-ci que l’intelligence artificielle sera utilisée à bon escient.

GoPro, aquarium et verveux

Capter des images dans un environnement contrôlé

La première étape est de remplacer les capacités de nos yeux par un capteur, une caméra par exemple. La caméra GoPro permet d’enregistrer des centaines de Gigabits (GB) de données vidéo.

Modèle de caméra étanche pouvant être placée sous la surface de l'eau.

(Source de la photographie)

Ensuite, il faut placer la caméra dans un endroit où il y a de fortes chances de capturer des données sur les espèces étudiées. Dans un premier temps, l’équipe a placé les caméras dans un aquarium du musée Exploramer. L’avantage de l’aquarium, c’est qu’il reproduit des conditions “contrôlées”: pas d’eau trouble, pas d’algues, pas d’autres espèces que celles que l’on souhaite étudier.

Traitement des images par un logiciel spécialisé

Les données capturées sont ensuite traitées avec Video and Image Analytics for Marine Environments (VIAME). Grâce à l’intelligence artificielle, ce logiciel ouvert permet de “voir” les individus et de les reconnaître automatiquement.

Dans l’image qui suit, on voit que le logiciel est capable de reconnaître et de commencer à distinguer les spécimens dans le banc de poissons de l’aquarium.

Une fois le spécimen identifié, le logiciel peut même suivre le déplacement de l’individu en temps réel. Étudier le mouvement est aussi un domaine d’expertise intéressant si on souhaite comprendre la migration des populations.

Captation des images dans un environnement moins contrôlé

Par la suite, les caméras sont placées dans un contexte moins contrôlé, par exemple un verveux. Le verveux est un engin de pêche en eau peu profonde. Il capture des espèces qui s’aventurent plus près des côtes: crabe commun, homard, plie, capelan, lançon, hareng, maquereau, etc.

Exemple de modèle de verveux. À marée haute, les espèces se retrouvent plus près de la berge. Lorsque la mer se retire, celles qui se retrouve dans le "V" sont entraînées dans le cône de filet. La manière dont le verveux est conçu empêche les individus de ressortir

(Source de l'image).

À marée basse, les caméras installées à l’intérieur du verveux sont récupérées et les données sont enregistrées pour traitement ultérieur.

David Pelletier, chercher principal et biologiste de l'UQAR, en compagnie de sa fille lors de la sortie du 7 juillet 2020. Après avoir décroché les caméras du verveux, David transfère les données dans l'ordinateur.

-Franchement, il y a pire comme laboratoire de recherche! - Isabelle Cayer

L’intelligence artificielle au profit de l’analyse des données et des algorithmes

Une fois les données téléversées dans l’ordinateur, les batteries sont remplacées, les disques sont vidés et les caméras sont remises en place pour la prochaine marée.

 

Cette étape met le logiciel (et les programmeurs R-D) à rude épreuve. Si l’algorithme de détection développé fonctionne relativement bien avec des données d’aquarium, celles récupérées dans le verveux sont beaucoup moins nettes et contiennent plus d’éléments à discriminer.

Un avant-goût

Dans la seconde partie de cet article, vous en apprendrez davantage sur la contribution des oiseaux marins à l’acquisition de données pour améliorer l’algorithme avec l’intelligence artificielle!

Entre temps, profitez de notre autre article qui porte sur la vision et la modélisation 3D. Vous découvrirez comment le CDRIN a pu proposer une méthode de prototypage pour améliorer la gestion d’inventaire dans le milieu forestier.